Le Conseil d’analyse économique diffuse une double feuille de route pour lutter contre la pauvreté

Deux notes rendues publiques par le Conseil d’analyse économique le 4 avril 2017 proposent des mesures pour agir plus efficacement contre la pauvreté et élargir la cible de la lutte menée par les pouvoirs publics. Les auteurs de la première note constatent l’efficacité des aides monétaires versées aux populations les plus modestes. Pour enrayer le non-recours, ils préconisent de les simplifier, de les automatiser et de les universaliser. D’autre part, ils recommandent de remplacer les minima sociaux par un revenu de base modulable, versé à tous les majeurs sous condition de ressources et de parcours d’insertion ou d’emploi. Le budget de ces propositions est évalué à huit milliards d'euros. Alors que la pauvreté se transmet de parents à enfants, les auteurs de la seconde note proposent de s’attaquer en amont à ses déterminants. La prévention passe par une politique renforcée de la réussite scolaire des enfants des familles les plus modestes, une action publique pour l’emploi des personnes non ou peu qualifiées, notamment des jeunes, et une politique de la ville davantage orientée vers la mobilité géographique.
La pauvreté revient sur le devant de la scène avec les deux notes diffusées par le Conseil d’analyse économique – qui n’engagent que leurs auteurs – présentées au cabinet du Premier ministre le 23 mars 2017 et rendues publiques le 4 avril.
Le postulat de départ repose sur le constat de l’efficacité du système social redistributif, qui a réussi à limiter, après la crise de 2008, l’augmentation de la pauvreté (+ 9 %) alors même que le taux de chômage augmentait de 40 %. Les solutions esquissées pourraient, si elles étaient appliquées de façon conjuguée, endiguer la pauvreté et ses effets.
Éviter le non-recours
Les aides monétaires sont encore ce qui se fait de mieux d’un point de vue qualité-coût, exposent les quatre auteurs de la première note, Olivier Bargain, Stéphane Carcillo, Étienne Lehmann et Yannick L’Horty : « les aides sous condition de ressources, qui permettent de répondre à un grand nombre de situations différentes, ont un coût certes élevé mais qui n’apparaît pas disproportionné par rapport à leur performance pour réduire la pauvreté ».
Mais nuancent-ils, le non-recours « réduit considérablement leur potentiel redistributif et nuit au bon pilotage des finances publiques ». La solution serait dès lors de « simplifier, automatiser » les aides monétaires pour arriver à bout des non-recours. Pour cela, les auteurs proposent de saisir l’opportunité du tout récent portail mesdroitssociaux.gouv.fr et de la généralisation de la déclaration sociale nominative ce qui, après une légère adaptation, donnerait la possibilité d’une déclaration unique pour toutes les prestations sociales et familiales et le croisement en temps réel des informations entre entreprises, Pôle Emploi, caisses de retraite, etc.
Un revenu de base élargi pour 8 milliards d’euros
Pour optimiser l’efficacité des aides monétaires, il faut en outre agir en faveur des jeunes et des familles mono-parentales et rendre plus lisible l’intérêt financier d’une reprise d’un emploi.
Les quatre chercheurs s’invitent dans le débat présidentiel sur le revenu universel, en proposant de fusionner le revenu de solidarité active (RSA) avec la prime d’activité au sein d’un revenu de base unique et d’y intégrer progressivement l’allocation spécifique de solidarité versée aux chômeurs.
Ce revenu de base, ciblé sur les plus pauvres et associé à un parcours d’emploi ou d’insertion, serait attribué à toutes les personnes majeures sous condition de ressources. Mais comme « un revenu universel ne doit pas être un solde de tout compte de la redistribution », ce revenu de base serait majoré pour répondre aux besoins spécifiques des différents publics par un montant égal aux allocations logement (AL), adultes handicapées (AAH), personnes âgées (ASPA), sans perte pour les bénéficiaires.
Cette adaptation du système existant des aides monétaires implique un « surcoût substantiel d’environ 8 milliards d’euros », ont chiffré les chercheurs.
Enrayer l’héritage de la pauvreté
À ce coût-là, « mieux vaut prévenir que guérir ». C’est l’objet de la seconde note présentée par Stéphane Carcillo, Élise Huillery et Yannick L’Horty qui pointent un taux de pauvreté « plutôt moins élevé en France qu’ailleurs », mais une inertie « impressionnante ».
Surtout, relèvent-ils, la pauvreté « se transmet » des parents aux enfants. En cause, sa concentration dans certains quartiers défavorisés, de plus fortes difficultés scolaires, une insertion professionnelle et un accès à l’emploi compliqués pour les personnes peu ou pas diplômées.
Pour enrayer l’héritage de la pauvreté et « aller au-delà des aides monétaires octroyées aux plus modestes », ils recommandent « de s’attaquer à ses déterminants » : le non-emploi, le faible niveau de formation initiale et le lieu de résidence, trois « clés pour les politiques publiques de prévention de la pauvreté ».
Emploi, éducation, mobilité
Les politiques publiques de l’éducation prioritaire et quarante ans de politique de la ville produisent ségrégation spatiale, ségrégation sociale, ségrégation scolaire et forte reproduction sociale des inégalités. Pour mieux utiliser les 10,5 % du PIB consacrés aux dépenses publiques d’éducation, aux prestations familiales et au service public de la petite enfance, les auteurs formulent huit recommandations sur les trois champs d’intervention de l’éducation, de l’emploi et de la mobilité.
Leur programme, « mieux informer, encourager et émanciper », ne propose pas de solutions vraiment innovantes (mixité scolaire, lutte contre le décrochage, pédagogie positive, écoles de la deuxième chance, garantie jeunes, etc.) mais a le mérite de positionner la pauvreté et ses enjeux au cœur de l’actualité.
Sommaire du dossier
- Article 01 - Huit milliards pour « prévenir plutôt que guérir »
- Article 02 - Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : de trop petites avancées
- Article 03 - Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté : priorité aux enfants et adolescents
- Article 04 - À Marseille, Emmaüs Connect expérimente le « numérique pour tous »
- Article 05 - Agde installe un point conseil pour prévenir le surendettement
- Article 06 - Plan de lutte contre la pauvreté : le Gouvernement lance une vaste concertation
- Article 07 - Les accueils de jour peinent à trouver leur financement
- Article 08 - Plan pauvreté : des effets impossibles à chiffrer sur le terrain
- Article 09 - Pour se relever, la Grèce mise sur la santé
- Article 10 - Saint-Brieuc offre aux SDF une alternative à la manche
- Article 11 - Le Conseil d’analyse économique diffuse une double feuille de route pour lutter contre la pauvreté
- Article 12 - « Choc de participation » : les pauvres sont prêts – Isabelle Bouyer, déléguée nationale d’ATD Quart Monde
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